lundi 7 septembre 2020

Eaux troubles de Ben Gazzara (1975) 🚬 🚬 🚬 🚬 🚬



Après avoir réalisé l'excellent En Toute Amitié (A Friend in Deed), huitième épisode de la saison précédente de Columbo, l'acteur-réalisateur et ami de Peter Falk, Ben Gazzara revenait à la réalisation l'année suivante en 1975 avec Eaux troubles (Troubled Waters), l'un des tout meilleurs épisode de la première époque de la série. Pour celui-ci, Ben Gazzara, sur une histoire de Jackson Gillis et un scénario de William Driskill, met en scène un épisode qui ne se situe pas à Los Angeles comme dans une grande majorité des soixante-neuf qui constituent la série mais à bord d'un paquebot de croisière à destination de Mazatlán au Mexique. Un navire à bord duquel le célèbre lieutenant de la police criminelle croisera la route de centaines de passagers parmi lesquels, cependant, il ne mettra pas longtemps à découvrir le nom de l'auteur du meurtre dont sera victime la chanteuse Rosanna Wells interprétée par l'actrice Poupée Bocar dont il s'agira du dernier rôle. Assassinée par Hayden Dansigger, un homme riche et marié avec lequel elle a eu une liaison et qu'elle fait désormais chanter afin de lui soutirer de l'argent, la jeune femme est tuée par arme à feu dans sa loge lors d'un entracte...

Dans cet épisode, on retrouve notamment l'acteur Dean Stockwell dont le personnage d'Eric Wagner fut trois ans auparavant la victime d'un meurtre dans l'épisode Le Grain de Sable (The Most Crucial Game) de Jeremy Kagan. Désormais, il incarne celui du pianiste Lloyd Harrington, lui-même ancien amant de la future victime et sur lequel repose au départ des soupçons après qu'il ait été au centre d'une dispute avec la chanteuse. Afin de se constituer un alibi, Hayden Dansigger simule une crise cardiaque dans la piscine du navire et se retrouve le soir-même de l'assassinat hébergé à l'infirmerie. De plus, l'homme tente par tous les moyens de faire accuser le pianiste. Columbo, qui après avoir précisé au capitaine Gibbans (Patrick Macnee de la série Chapeau Melon et Bottes de Cuir) qu'il fait partie de la police criminelle au début de l'épisode est dépêché sur les lieux de l'assassinat afin d'enquêter sur le meurtre. Mais alors qu'il se sent mal, il est dirigé à son tour vers l'infirmerie afin d'être pris en charge par l'infirmière. Là, il trouve devant la porte de la chambre où se trouve allongé Hayden Dansigger, une plume. L'indice qui lui permettra de comprendre que l'homme dont il sait pourtant qu'il a été apparemment victime d'une crise cardiaque est sans doute l'assassin de Rosanna Wells...

On retrouve également parmi les interprètes de cet épisode, l'acteur Bernard Fox qui interpréta le rôle du Détective de la police de Scotland Yard, William Durk. Il demeure une ambiguïté au sujet du malaise ressenti par Columbo à la découverte du corps de la victime. Surtout que la série nous a jusqu'à maintenant habitué à penser que le lieutenant est sensible à la vue du sang. Pourtant, certains détails laissent véritablement penser que le mal dont est atteint Columbo à ce moment précis du récit est en fait directement lié au tangage du navire. À noter d'ailleurs que Eaux troubles à réellement été tourné à bord d'un navire comme en témoigne l'équilibre précaire de certains interprètes lors de différentes séquences. Face à Peter Falk, l'assassin est interprété par l'immense acteur Robert Vaughn qui outre une longue carrière sur grand écran (Le Pont de Remagen de John Guillermin en 1969) fut célèbre pour avoir notamment interprété le rôle de Napoléon Solo dans la mythique série télévisée Des Agents très Spéciaux entre 1964 et 1968...

S'il est reconnu que l'épouse de Columbo est bien réelle même si les spectateurs n'ont jamais eu l'occasion de la découvrir ne serait-ce qu'une seule fois parmi les soixante-neuf épisodes que compte la série, ceux-ci n'ont jamais été aussi proches de la découvrir que dans cet épisode puisque comme le souligne le lieutenant, elle et lui ont gagné une croisière. C'est ainsi la raison pour laquelle ils se retrouvent à bord du navire tous les deux. Si Columbo l'évoque à diverses reprises, le petit jeu auquel s'adonnent le réalisateur et le scénariste au sujet de sa femme est au moins aussi savoureux que cette touchante tentative de rapprochement entre Columbo et une certaine frange de la population qui depuis toujours s'avère dédaigneuse envers lui. Alors qu'en général l'apparition de Columbo succède à une longue introduction menant au meurtre, dans Eaux troubles il apparaît à l'image après seulement dix secondes. Si le commandant de bord fait au début référence à l'éternel accoutrement du lieutenant (celui-ci rétorquant innocemment un ''on m'a dit qu'il faisait toujours très beau à cette époque de l'année''), on le découvrira plus tard affublé d'une chemise quelque peu ''barriolée'', chose peu habituelle chez Columbo, mais dont les teintes ne dépareillent absolument pas avec celles qu'il a pour habitude de porter...

La confrontation entre le lieutenant et l'assassin est absolument formidable. Mais ce qui l'est certainement plus encore, c'est l'excellent scénario. Outre le concept jamais anodin de demander au meurtrier lui-même de l'aider à enquêter sur l'assassinat de la chanteuse, les capacités d'analyse de Columbo sont ici exploitées à leur maximum. En réfléchissant à chaque détail tout en faisant profiter comme à son habitude aux spectateurs de ses diverses déductions, Columbo met surtout en place un piège autour du meurtrier dont ce dernier, particulièrement hautain, ne se doutera jamais des conséquences. En résulte un final absolument jouissif lors duquel Hayden Dansigger est mis face à ses contradictions. De manière tout à fait exemplaire, le lieutenant démonte un à un tous les objectifs du meurtrier censés mener à son indéboulonnable alibi. Drôle, dépaysant, frais et diablement construit, Eaux troubles fait sans aucun doute partie des dix meilleurs épisodes de toute la série...

jeudi 3 septembre 2020

Entre le Crépuscule et l'Aube de Harvey Hart (1974) 🚬 🚬 🚬 🚬



Le Colonel Lyle C. Rumford mène ses troupes à la baguette. Responsable d'une académie militaire, il voit d'un très mauvais œil le projet de William Haynes. Déjà que les deux hommes se détestent rigoureusement, le petit-fils du fondateur de l'académie a en effet parmi ses documents, un plan de l'établissement auquel il a ajouté des sections supplémentaires qui devraient accueillir prochainement de jeunes femmes si les membres du conseil d'administration adoptent son projet. Une idée inconcevable pour le Colonel Rumford qui pour y couper court décide d'éliminer William Haynes. Lors de l'anniversaire commémoratif de la fondation Haynes, le colonel Rumford se débrouille pour que son rival procède au tir de canon en vigueur. Mais ce que ce dernier ne sait pas, c'est que la veille au soir, le colonel a subrepticement enfoncé un chiffon de nettoyage dans le canon et a également ôté la poudre de l'obus qui doit être tiré par un explosif beaucoup plus puissant. Lorsque Haynes procède au tir, c'est le drame. Le canon explose et l'homme meurt. C'est alors qu'arrive sur place le lieutenant Columbo...

Troisième épisode de la quatrième saison, Entre le Crépuscule et l'Aube (By Dawn's Early Light) est le premier des quatre que réalisera Harvey Hart entre 1974 et 1976 et le premier des quatre également auquel participera l'acteur et réalisateur irlando-américain Patrick McGoohan, d'abord célèbre pour avoir incarné le Numéro 6 de la série culte Le Prisonnier en 1967/68. Concernant ce dernier, les choses sont en réalité beaucoup plus complexes puisque outre le fait qu'il ait interprété à quatre reprises le rôle de l'assassin dans la série, Patrick McGoohan a de plus écrit le scénario de deux d'entre eux et en a réalisé cinq dont La Montre Témoin (Last Salute to the Commodore) en 1976 et Meurtre en Musique (Murder With Too Many Notes) en 1999 dans lesquels il n’apparaît pas. Le point commun entre ses différentes apparitions dans la série est ce ton presque monocorde, cette attitude hautaine et cette implacable froideur que partagent chacune de ses incarnations. Dès Entre le Crépuscule et l'Aube, l'acteur se montre sinistre, d'une humeur linéaire, d'un tempérament vieux jeu, acariâtre et autoritaire. Un comportement qui participe de l'élaboration du meurtre puisque le Colonel Rumford qu'il interprète n'hésitera pas à utiliser le cadet Roy Springer (l'acteur Mark Wheeler) comme bouc émissaire...

La particularité de cet épisode provient donc du contexte puisqu'en s'imposant en ce lieu unique dans lequel il mangera, se douchera et se nourrira tout en continuant à mener son enquête, le lieutenant Columbo passera l'intégralité de Entre le Crépuscule et l'Aube à côtoyer cadet, bizuts et officiers. C'est ainsi donc qu'on le verra notamment manger au mess à la table du colonel, se laver dans les mêmes lavabos que les cadets, être brutalement réveillé au son du clairon (dans le meilleur des cas) ou par un soldats inconscient de réveiller non pas l'un des siens mais un lieutenant de police (dans le pire). Si Patrick McGoohan est parfois glaçant, Columbo est par contre tout à fait touchant dans ses rapports avec les jeunes militaires. Et notamment en ce qui concerne le récit tournant autour d'un trafic de cidre qui plus que de n'être qu'un sujet d'arrière-plan anecdotique, permet au scénario de Howard Berk de mettre en place toute une stratégie devant porter ses fruits lors des derniers instants.

Autre particularité de cet épisode, le meurtre : Si la série nous a jusqu'à maintenant habitué à des assassinats dont la forme se révélait généralement des plus classique, le meurtre de Entre le Crépuscule et l'Aube a ceci d'exceptionnel que le meurtrier agit en spectateur lorsqu'il survient. Devant l’énormité de l'événement, il demeure logiquement impossible de confronter le téléspectateur avec ce que l'on peut imaginer comme étant sans doute le meurtre le plus violent et le plus sanglant de toute la série (les débris du canon en témoignent). Comme par un fais étrange, et malgré la dureté du personnage, le spectateur pourra éprouver de la mélancolie mêlée d'amertume devant ce très haut gradé froid, dénué de sentiments, et pourtant relativement touchant dans sa vision éculée de l'armée. Patrick McGoohan l'incarne si parfaitement que l'on a tendance peut-être à mêler le personnage et son interprète. Une étrange relation se noue entre le militaire et le policier. Si le lieutenant Columbo garde comme objectif de faire tomber le coupable, on sent tout le respect qu'il éprouve pour ce militaire de carrière. Un Columbo sous forme de huis-clos original et relativement séduisant...